samedi 14 février 2009

10 - Le braquemart de l'abbé Benoît

Avertissement aux lecteurs :

Le texte suivant ne saurait être le reflet d'une stricte vérité. Il n'est que le fruit de l'imagination de son auteur qui dans ce cas précis s'est inspiré non de faits factuels mais plus romanesquement des caractères des personnalités religieuses croisées à Saint-Riquier.

L'abbé Benoît était d'une rigueur religieuse exemplaire. Sa piété de fer ne faisait pas pitié à voir, bien au contraire. C'était un roc de préjugés éculés, un chêne de certitudes absurdes, une montagne d'orthodoxes hérésies. En sa compagnie on ne craignait pas plus le Diable que les égarements de la raison et de l'esprit critique... Avec sa soutane qu'il portait comme un seigneur, il impressionnait les vieilles dévotes. Avec ses airs entendus de Casanova d'Église, il faisait tressaillir les vierges tendrons. Avec ses ambiguïtés de prêtre douteux, il troublait les jeunes hommes efféminés.

Mais surtout il rendait jaloux tous les époux qu'il avait mariés.

Nul dans la modeste paroisse n'ignorait que l'abbé Benoît était monté comme un bourriquot, ses multiples maîtresses étant les pires jacassières qui soient. L'abbé Benoît fourrait donc avec rage et frénésie les membres de son harem autant qu'il le pouvait, c'est-à-dire généralement une fois le matin et au moins deux fois le soir, mais sans jamais quitter sa soutane : respect dû aux emblèmes de sa fonction oblige... C'est qu'il était vraiment pieux l'abbé. Il avait ses petits scrupules.

Le soir au café du village l'abbé Benoît venait parfois se mesurer aux buveurs. Il y avait des concours de longueur phallique. Les prétendants aux lauriers, tous ivres, s'alignaient au bord du zinc en exhibant sans pudeur leur chibre. Le spectacle était infâme, et on se demandait comment un homme de son rang et de sa dignité pût s'abaisser à de semblables libations, à des moeurs aussi viles... Mais bref, l'abbé Benoît décrochait à chaque fois la palme de la plus grosse trique du bar, au grand dam de ses rivaux. D'ailleurs l'abbé les traitait tous d'ânons, lui qui était monté comme un bourriquot. Ca se terminait habituellement dans l'hilarité générale, et c'était alors le début de beuveries et d'orgies à n'en plus finir.

Le lendemain l'abbé Benoît servait la messe avec ses airs compassés, comme si de rien n'était. Juste les traits un peu tirés.

Ses compagnons de perdition qui étaient aussi ses ouailles assistaient à l'office, quelque peu dépités. Tous se sentaient offensés que le prêtre qui leur disait la messe puisse posséder le plus gros braquemart de la paroisse et s'en servir plusieurs fois par jour par-dessus le marché. Ils se disaient que décidément le monde était bien mal fait puisque le Ciel octroyait aux prêtres les plus chers trésors de la terre...

On respectait cependant les règles établies dans le village, et on se taisait poliment devant l'autorité en action : le prêtre officiait. Enfin la messe était dite. Alors l'abbé allait promptement foutre une de ses gueuses tandis que ses ouailles se dispersaient. Tout le monde dans le village savait que l'abbé Benoît avait été conçu comme un diable de satyre. Sa longue pine d'ailleurs laissait songeuse plus d'une rosière, faisait se pâmer plus d'une pécheresse repentie, amenait bien des conflits dans les chaumières...

Mais sous le clocher, on se taisait.

Raphaël Zacharie de IZARRA

Et je rends cependant un juste hommage à ces précepteurs qui m'édifièrent dans la rectitude chrétienne, la noblesse d'âme et la hauteur d'esprit. Ce qui ne m'interdit pas, par ailleurs, de les mettre en scène dans mes souvenirs (vagues ou précis) à travers mon plus féroce humour... Non dénué de tendresse.

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